Je vous emmène au bout du monde, dans une petite île. Un mouchoir de poche de 84 km2 à peine et de 7 millions et demi d'habitants, capitale mondiale des gratte-ciels. Mais au lieu de défier le bleu du ciel, c'est au colosse rouge, son parrain malveillant, la République populaire de Chine, que Hong Kong s'attaque. Un défi inouï dont on mesure mal en Occident le courage qu'il implique et l'impact qu'il provoque.
Depuis une semaine, les foules, délaissant les nuages et les marches financiers, ont envahi l'asphalte. Les manifestations monstres, comme une coulée ardente de 2 millions de personnes, soit près de 30% de la population, se répètent quasi de jour en jour et ont connu, hier, leur apogée, familles au complet, enfants et grands parents se joignant aux centaines de milliers de jeunes portant tee shirts noirs et masques en coton d'hôpital pour ne pas être reconnus par les caméras espionnes.
Un texte de loi sournois a provoqué la révolte : prenant prétexte d'une affaire de meurtre perpétré à Taiwan par un Hong-kongais ayant trouvé refuge sur son îlot natal, Pékin a aussitôt saisi l'occasion de mettre un peu plus au pas ce territoire réfractaire, accroché à ses droits spécifiques qui le distinguent de ses 1 milliard 400 000 concitoyens, territoire indispensable et irritant. Le pouvoir central prétendait faire adopter un texte de loi autorisant les extraditions pour la Chine, ce qui n'est aujourd'hui le cas ni avec la maison mère ni avec Taiwan puisque Hong Kong n'est lié par aucun accord de ce genre avec eux. La soubrette du Président Xi Jing Ping, la chef de l'exécutif de l'île, Carrie Lam, 62 ans, était chargée de faire passer la pilule.
Mais la génération parapluie comme on l'appelle - car c'est sous la protection des ombrelles bigarrées que les manifestants affrontent les gaz lacrymogènes et les balles en caoutchouc- ne s'y est pas laissée prendre. Trop moderne, trop libre, d'une liberté insulaire, aussi parce qu'elle a gouté trop longtemps aux charmes de l'occidentalité. L'intention du régime chinois était et reste bel et bien d'attenter à cette exception administrative des Hong-kongais, de renforcer par ce texte sa mainmise autoritaire sur eux. Il croyait par ce biais avoir trouvé le moyen de faire emprisonner et torturer les dissidents ailleurs, loin sur le continent, sous couvert de défendre la sécurité de tous en mettant sous cloche les droits communs.
Pékin, on le sait n'a jamais accepté l'accord sur le statut particulier de Hong Kong négocié en 1997 avec le Royaume Uni lorsqu'il s'en est retiré et le lui a rétrocédé. Particulièrement parce que Hong Kong, principale place financière asiatique, donc à ce titre acteur mondial, joue un rôle clé dans les échanges économiques de la Chine. Les hommes d'affaires y sont une puissance, ils font, ils sont Hong Kong. La planète, à commencer par les Etats-Unis entraînés par Donald Trump dans une guerre économique contre la Chine et le boycott de ses produits, a langue et échanges avec eux. Or la semaine dernière, devant l'ampleur, la détermination des manifestants que rien apparemment ne peut faire plier, ces hommes d'affaires et responsables locaux de multinationales ont fait savoir à Pékin qu'il fallait renoncer au texte de loi inique. La chef de l'exécutif, Carrie Lam, jouant ainsi sa tête désormais condamnée, en a fait reporter l'examen dans un premier temps, puis samedi dernier, elle l'a ajourné sine die.
Le bras de fer est-il pour autant terminé entre le David hong-kongais et le Goliath pékinois ? Surement pas. Le premier n'a aucune intention d'en rester là : il veut l'abrogation définitive du projet de loi. Pour Xi Jing Ping, lequel doit bien penser que les Américains ne sont pas étrangers à cette prodigieuse révolte, il essuie une perte de face, un affront suprême, qu'il ne peut en aucun cas tolérer. Pour qui a connu Tien An Men en 1989, il n'y aucun doute sur ce qu'il s'en suivra un jour ou l'autre. Partie remise comme on dit.
Il n'en reste pas moins que nous assistons décidément d'Alger à Hong Kong à des soulèvements pacifiques de peuples tout entiers enthousiastes qui défient autoritarisme ou dictature à mains nues, avec bravoure et maîtrise, et qui font paraître dérisoire et acariâtre la violente révolte jaune que nous venons de connaitre dans notre somme toute fort confortable démocratie française.
Comentarios