Le plus grand groupe de rock’n’roll du monde entre-t-il dans "L’épopée des Musiques Noires"? Fortement inspiré par les bluesmen noirs américains, les Rolling Stones ont, non seulement, nourri leur expressivité de la tradition afro-américaine mais ils ont aussi et surtout réhabilité en Europe quelques grandes figures comme Muddy Waters, Howlin Wolf ou Buddy Guy. Bruno Juffin, auteur d’un ouvrage richement illustré, intitulé The Rolling Stones on Stage (GM Éditions), nous conte cette semaine la destinée de cinq blancs-becs britanniques porteurs d’un héritage qui les dépasse. Lorsque le premier album des Rolling Stones paraît au printemps 1964, l’Angleterre s’apprête à vivre le "British Blues Boom", un mouvement musical animé par quelques musiciens bien inspirés comme John Mayall, Alexis Corner, Eric Burdon ou Eric Clapton. Ces jeunes virtuoses s’intéressent alors au répertoire de leurs aînés mésestimés outre-Atlantique dont ils adaptent les œuvres avec une fougue sincère et authentique. Mick Jagger, Keith Richards, et leurs camarades n’hésitent à réinterpréter les compositions de Chuck Berry, Willie Dixon ou Jimmy Reed. Cette propension à s’approprier le patrimoine de leurs cousins d’Amérique ne peut cependant pas suspecter une audace mercantile de la part de ces jeunes artistes encore peu connus au début des années 60. Il s’agit davantage d’un hommage respectueux à des pionniers du blues et du rock’n’roll. Ce choix musical naïf aura un impact majeur sur la destinée des auteurs originels. Malmenés dans leur pays natal où la ségrégation raciale pénalise leur statut social, les artisans du blues ancestral trouvent en Europe une échappatoire à la frustration, aux brimades et aux humiliations. Nombre de musiciens afro-américains ignorés chez eux seront célébrés sur le vieux continent. Les Rolling Stones joueront un rôle déterminant dans ce processus de reconquête du public blues. Devenus des personnalités du rock, ils useront de leur notoriété pour soutenir les créateurs de la musique populaire noire américaine. B.B King, John Lee Hooker, Memphis Slim, Jimmy Witherspoon se féliciteront de ce retour en grâce et sauront remercier leurs chaperons européens. Certains concerts témoignent de cette complicité transatlantique entre les vétérans américains et leurs bienfaiteurs européens. Comme le narre Bruno Juffin dans son livre dévolu aux 50 plus grandes performances scéniques des Rolling Stones à travers la planète, la révérence pour les figures essentielles du blues n’est jamais absente. En 1981 à Chicago ou en 2006 à New York, la complicité entre Muddy Waters, Buddy Guy, Mick Jagger, Keith Richards, Ron Wood, Charlie Watts n’est pas feinte. Chacun sait ce qu’il doit à son homologue. Les anciens ont joui de l’écho promotionnel insufflé par leurs cadets et les héritiers ont enraciné leur univers sonore dans le blues des aïeux. Page après page, cette vérité absolue rythme le récit vif de Bruno Juffin qui ne se lasse pas de réécouter Get Yer Ya-Ya’s Out !, l’un des fameux albums en public des Rolling Stones duquel transpire cette lancinante complainte blues échappée des entrailles de l’histoire africaine-américaine.
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