Les mots de l'actualité : une chronique pétillante qui éclaire en deux minutes un mot ou une expression entendue dans l'actualité.
Le Sommet des Deux Rives s’est achevé hier en demi-teinte, mais il a quand même bien fait parler de lui : rencontre politique, voulue par Emmanuel Macron, plus resserré que l’Union de la Méditerranée de Sarkozy, ne concernant que dix pays situés de part et d’autre de cette mer, du côté occidental. Mais on voit tout de suite que ces deux rives sont des images politiques, plus que des réalités géographiques : le Portugal et la Mauritanie participent à cette rencontre alors que ces deux pays n’ont évidemment pas de façade méditerranéenne.
Quand on parle de deux rives, on voit bien qu’on a dans l’esprit les pays qui sont de part et d’autre de l’eau : la rive en plus grand que le rivage, désigne la portion de terre qui s’étend de part et d’autre. À condition que l’eau ne soit pas trop large : on ne parle pas, ou fort peu des deux rives atlantiques, d’un côté l’Amérique, de l’autre l’Afrique et l’Europe. Et c’est la même chose pour l’océan Pacifique. La Méditerranée, elle, est plus étroite : elle se prête à la rive.
Mais lorsqu’on emploie le mot, c’est le plus souvent pour évoquer les deux berges d’un fleuve. Et en premier lieu la Seine, associée depuis longtemps à cette image. Au début du 20e siècle, Apollinaire se présente comme le flâneur des deux rives, lui qui arpente Paris dans tous les sens. Et c’est encore par rapport à cette Seine qu’on parle de rive droite et de rive gauche, par rapport au sens du courant bien sûr ! Mais les expressions sont tellement entrées dans la langue courante qu’elles évoquent bien plus qu’une situation. La rive gauche notamment, a tout un prestige : elle évoque le Paris des Arts et des intellectuels. Au départ probablement parce que c’est sur cette rive, et tout près du fleuve que s’est construit la Sorbonne. Le Quartier latin est donc rive gauche (on ne dit même pas « sur la rive gauche »). La bohème intellectuelle, derrière les vrais penseurs, s’est emparée du voisinage et de l’expression. Et la locution « intellectuel de gauche » a vraisemblablement rejailli sur la formule : on se souvient de Jean-Paul Sartre allant écrire et travailler Aux Deux Magots ou au Café de Flore, deux grands cafés du Boulevard Saint-Germain. Il aimait probablement se concentrer en faisant abstraction du bruit de la foule. Mais l’idée de s’y montrer, d’y être un peu en représentation, aux yeux de tous dans cette cage de verre, en société avec ses verres de bière et ses cigarettes maïs n’était pas totalement absente non plus.
Mais les fleuves sont nombreux, et les rives aussi. Si l’on se souvient plus d’Henri Lopes que de Sartre, on pensera immanquablement au Congo des deux rives qu’il aime évoquer, celui de sa jeunesse, où bien sûr les deux villes de Brazzaville et Léopoldville pour lui donner le nom colonial qu’elle avait à l’époque se faisaient face, mais lorsqu’il était courant et facile de passer de l’une à l’autre.
Avertissement !
Ce texte est le document préparatoire à la chronique Les Mots de l’Actualité. Les contraintes de l’antenne et la durée précise de la chronique rendent indispensable un aménagement qui explique les différences entre les versions écrite et orale.
En partenariat avec la Délégation Générale à la Langue française et aux Langues de France (DGLFLF)
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